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Soyons honnêtes, il y a quelque chose qui ne fonctionne pas dans notre système actuel de mise en liberté sous caution au Canada.

Le 27 décembre, l’agent Greg Pierzchala de la Police provinciale de l’Ontario a été tué par balle alors qu’il était en service sur une route rurale à l’extérieur de Hamilton. Le tueur présumé était en liberté sous caution dans l’attente de son procès pour voie de fait et plusieurs accusations de possession d’armes.

Malheureusement, ce n’est pas le seul exemple récent. Au début de juillet 2023, un homme libéré sous caution pour des crimes comme l’entrée par effraction, le vol d’un véhicule, la fuite pour échapper à un agent de la paix et la conduite dangereuse (entre autres accusations) a brutalement poignardé un autre passager dans un métro bondé du centre-ville de Toronto. Non seulement l’homme était en liberté sous caution, mais il avait aussi manqué sa comparution devant le tribunal plus tôt ce matin-là.

Ce sont des incidents choquants et inutiles comme ceux-ci qui amènent les Canadiens à se demander pourquoi on a laissé cette personne sortir de prison.

La question n’est pas de savoir si nous devons corriger ce système imparfait, mais plutôt comment le faire. Lorsque des criminels sont libérés sous caution et continuent de commettre des crimes, la police consacre du temps et des ressources pour les ramener en détention. L’amélioration du système actuel de mise en liberté sous caution a de nombreux effets positifs sur la sécurité publique et les ressources policières, ce qui permet à la police de réorienter ses efforts vers la prévention du crime, l’engagement communautaire et d’autres initiatives proactives importantes.

Commençons par la base :

À quoi ressemble le système de mise en liberté sous caution au Canada?

Certains d’entre nous ne savent peut-être même pas ce qu’est le système de mise en liberté sous caution au Canada ni ce que signifie le terme « mise en liberté sous caution ». La mise en liberté sous caution est décrite dans le Code criminel du Canada et Justice Canada la définit comme suit :

« Lorsqu’une personne inculpée d’une infraction criminelle est remise en liberté dans l’attente de son procès. La remise en liberté peut ou non être assortie de conditions auxquelles la personne doit se conformer pendant toute la durée de sa liberté sous caution. Ce ne sont pas toutes les personnes inculpées d’un crime qui bénéficient d’une mise en liberté sous caution. »

https://www.justice.gc.ca/fra/jp-cj/caution-bail/index.html

L’objectif du système de mise en liberté sous caution est de s’assurer que la personne accusée d’un crime comparaisse devant le tribunal au moment requis, tout en évaluant le risque potentiel pour la société si cette personne n’est pas gardée derrière les barreaux avant la date de comparution. La décision de garder ou non une personne en détention est prise par un juge ou un juge de paix lors d’une audience sur la mise en liberté sous caution. Si elle est libérée sous caution, elle est habituellement assujettie à des conditions selon les accusations qui pèsent contre elle et plusieurs autres facteurs, comme le fait de ne pas pouvoir consommer d’alcool ou de conduire un véhicule.

En vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, tous les Canadiens ont des droits et libertés, y compris le droit d’être. Cela signifie qu’avant de prendre la décision d’accorder une mise en liberté sous caution, les tribunaux doivent déterminer si la détention est nécessaire pour s’assurer que l’accusé se présente devant le tribunal.

Qu’est-ce qui ne fonctionne pas avec le système canadien actuel de mise en liberté sous caution?

Le système de mise en liberté sous caution est un difficile exercice d’équilibre entre les droits de l’accusé et la nécessité d’assurer la sécurité du public. Cependant, l’équité et l’efficacité du système de mise en liberté sous caution ont récemment fait l’objet d’un examen minutieux, ce qui a eu une incidence sur la confiance du public à l’égard de la police et du système de justice.

Voici ce qui ne fonctionne pas avec l’approche actuelle :

Surreprésentation des communautés marginalisées

La tendance actuelle dans le système de justice de toutes les provinces est un système qui accuse des retards sans fin. La lenteur du système de justice fait en sorte que de plus en plus de gens attendent des mois avant de pouvoir se présenter devant les tribunaux. Au Canada, 70 % de la population carcérale provinciale en 2022 était en détention avant procès. Depuis 2006, le nombre de personnes en détention provisoire a dépassé le nombre de personnes reconnues coupables et condamnées. Ce recours à la détention avant procès a touché les communautés marginalisées dans une mesure disproportionnée.

Le système actuel de mise en liberté sous caution réfractaire au risque fait en sorte que les personnes autochtones, racisées, de sexe féminin et financièrement défavorisées se retrouvent en détention dans des proportions bien supérieures à celles des Canadiens qui ne font pas partie de ces catégories et qui sont accusés des mêmes infractions, voire d’infractions plus graves. Cette situation s’explique par la tendance actuelle à exiger des cautions, des gages de propriété et des dépôts en espèces pour la mise en liberté dans l’attente d’un procès.

Une « porte tournante » pour les criminels

Malgré le recours à la détention avant procès et les inégalités flagrantes du système de mise en liberté sous caution, il subsiste de sérieuses inquiétudes quant à sa capacité à protéger le public.

Dans un témoignage devant l’Assemblée législative de l’Ontario, le chef du Service de police de Toronto (SPT), Myron Demakis, a donné son opinion, affirmant que le système actuel de mise en liberté sous caution a créé une porte tournante pour les criminels violents récidivistes. Selon le chef Demakis, en 2021, ce sont 772 personnes accusées par le SPT d’infractions liées aux armes à feu qui ont été libérées sous caution. De ce nombre, 21 %, soit 165 personnes, ont été arrêtées de nouveau pendant qu’elles étaient en liberté sous caution pour d’autres accusations liées aux armes à feu, et parmi ces personnes arrêtées de nouveau par le SPT et libérées pour une deuxième fois, 60 %, soit 98 personnes, ont encore été arrêtées pour une autre nouvelle infraction liée aux armes à feu. De ce nombre, 47 % ou 50 % ont bénéficié d’une troisième mise en liberté sous caution.

Les changements du gouvernement fédéral sont « un bon départ »

En mai 2023, le gouvernement du Canada a présenté le projet de loi C-48, Loi modifiant le Code criminel (réforme sur la mise en liberté sous caution), qui crée des dispositions supplémentaires d’inversion du fardeau de la preuve pour certaines infractions répétées, violentes, commises par un partenaire intime et commises avec une arme à feu. Aux termes d’une disposition d’inversion du fardeau de la preuve, une personne accusée d’un crime devrait prouver pourquoi elle devrait être libérée sous caution, au lieu que le procureur de la Couronne (comme un poursuivant) doive prouver pourquoi une personne devrait être détenue en prison jusqu’à son procès.

C’est un bon début, mais malheureusement, rien ne permet de croire que l’inversion du fardeau de la preuve dans le cas des libérations sous caution soit une façon appropriée d’améliorer la sécurité des collectivités. À elles seules, les modifications législatives fédérales ne suffiront pas à résoudre les problèmes complexes et de longue date du système de mise en liberté sous caution. Tandis que le gouvernement fédéral poursuit activement ses réformes législatives des dispositions du Code criminel sur la mise en liberté sous caution, il appartient aussi aux provinces et territoires de contribuer grandement au renforcement du système de mise en liberté sous caution.

Solutions réalisables

Les initiatives réalisables et accessibles qui relèvent de la compétence des provinces et des territoires doivent viser à améliorer la collecte et le partage de données sur les crimes et leurs auteurs afin que les juges et les juges de paix puissent connaître les antécédents criminels d’une personne avant de rendre une décision concernant la mise en liberté sous caution. Les données sont essentielles – elles aideront à orienter les décisions et à mesurer leur efficacité afin que les décisions qui ont une plus grande incidence soient mises en œuvre au bon moment.

Voici les recommandations formulées par la FPN pour que tous les gouvernements les mettent rapidement en œuvre.

Recommandation 1 : Créer un comité national sur le partage des données du système de justice pénale canadien

Les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux doivent coordonner la création d’un comité national sur le partage des données du système de justice pénale (SJP) canadien, chargé de recenser les tendances actuelles et les meilleures pratiques, de les analyser et d’en rendre compte. Les rapports devraient présenter des recommandations de réforme des politiques et des programmes de partage des données du SJP. Il faudrait permettre à tous les fonctionnaires concernés par l’administration de la justice d’accéder directement aux données partagées. 

Recommandation 2 : Investir dans des technologies de surveillance éprouvées et modernes

Le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires devraient investir dans le déploiement des technologies qui se sont révélées efficaces pour surveiller les conditions de mise en liberté sous caution. Il s’agirait en l’occurrence de procéder à un examen approfondi de toutes les technologies disponibles en matière de surveillance après la remise en liberté, et éventuellement de mettre au point de nouvelles technologies. 

Recommandation 3 : Établir une norme de qualification pour les postes de juge de paix

Toute administration qui fait appel à des juges de paix pour présider les audiences de mise en liberté sous caution doit établir pour ces postes une norme de qualification fondée sur la scolarité et la formation juridique, comme un diplôme en droit et cinq ans d’expérience dans la pratique du droit.

Recommandation 4 : Mener une étude nationale du système actuel de mise en liberté sous caution afin d’examiner les dispositions les plus efficaces

Le gouvernement fédéral doit entreprendre une étude nationale et systématique du système de mise en liberté sous caution canadien et faire ressortir les dispositions efficaces qui favorisent la sécurité publique et répondent aux objectifs du SJP, notamment la garantie des comparutions futures devant les tribunaux et la sécurité publique.

Recommandation 5 : Recueillir des données pour prendre des décisions de mise en liberté sous caution fondées sur des données

Les provinces et les territoires doivent consacrer davantage de ressources à la collecte et au partage de données criminologiques qui peuvent servir à éclairer les décisions de mise en liberté sous caution, plutôt que de s’en remettre aux dispositions relatives à l’inversion du fardeau de la preuve.

Recommandation 6 : Trouver des solutions de rechange à la garantie financière et aux cautions biaisées

Les gouvernements devraient s’engager à adopter des réformes fondées sur des données probantes et qui prévoient des solutions de rechange à la garantie financière et aux cautions, comme des programmes de mise en liberté avant procès qui évaluent le niveau de risque d’un défendeur et assurent une surveillance plutôt que la détention.

Recommandation 7 : Créer un système unique de surveillance de la mise en liberté sous caution avec des unités spécialisées dans l’application de la loi

Il faut que tous les ordres de gouvernement investissent dans la création d’un système de surveillance de la mise en liberté sous caution sur le terrain, d’unités spécialisées dans l’application de la loi et, partout au Canada, d’une technologie de pointe qui Ce système fournira des renseignements en temps réel sur les manquements potentiels ou réels à la mise en liberté sous caution auxquels les autorités pourront réagir rapidement, notamment en empêchant la multiplication des infractions mineures qui se transforment en nouvelles infractions criminelles graves.

Les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux doivent collaborer afin de déterminer et de mettre en œuvre des initiatives intelligentes en matière de mise en liberté sous caution, avec des solutions pratiques, efficaces et fondées sur des données qui garantiront une prise de décisions rapide sur la mise en liberté sous caution, réduiront le recours à la détention et assureront le respect des conditions de mise en liberté sous caution dans la collectivité, tout en protégeant le public et les agents chargés de l’application de la loi. En l’absence d’une réforme globale et sérieuse, les administrations de tout le Canada risquent de se retrouver avec un système de mise en liberté sous caution qui n’arrive pas à administrer la justice de façon équitable ni à assurer la sécurité des collectivités.

Lorsque notre système de mise en liberté sous caution fonctionne, nous assurons la sécurité des Canadiens, nous respectons les droits des personnes qui font face à des accusations criminelles et nous libérons des ressources policières qui pourraient être beaucoup mieux utilisées dans d’autres domaines. Il est temps de réparer notre système de mise en liberté sous caution avec des idées intelligentes, axées sur les données et progressistes – pas avec plus de lois.

Regardez le président et chef de la direction de la FPN, Brian Sauvé, présenter le rapport Une approche progressiste pour réformer le système canadien de mise en liberté sous caution,