À dix-neuf ans, la sergente-chef Cara Streeter connaissait déjà la GRC, mais l’idée de rejoindre elle-même ce service de police très respecté au Canada ne lui avait pas encore traversé l’esprit. Elle étudiait dans le but de devenir médecin, rêvant de faire de la maternité, et non de maintenir l’ordre dans les communautés isolées et escarpées du Labrador. Mais la vie, comme souvent, en avait décidé autrement, réveillant en elle une vocation dont elle ignorait encore l’existence.
À l’université, un ami proche travaillant dans les forces de l’ordre lui racontait souvent des expériences vécues sur le terrain, des histoires pleines d’humanité, d’imprévisibilité et de détermination. Ces moments ont éveillé en elle une curiosité qui s’est transformée en conviction.
« Je pourrais peut-être essayer », s’est-elle dit. Et cette petite étincelle a marqué le début d’un parcours remarquable, qui s’étend désormais sur près de vingt ans au sein de la GRC.
Enracinée dans les petites communautés
Originaire d’une petite ville de Colombie-Britannique appelée Clearwater, Cara a été très tôt influencée par les valeurs des petites communautés et un profond respect pour le service. Dans sa ville natale, les membres de la GRC ne représentaient pas une institution abstraite, mais faisaient partie intégrante de la communauté, et elle les voyait tous les jours.
Après avoir obtenu son diplôme à la Division Dépôt à l’âge de 20 ans, elle a choisi de partir vers l’est. Sa première affectation a été à Terre-Neuve-et-Labrador, dans la communauté de Corner Brook, puis à Happy Valley-Goose Bay et plus tard à Sheshatshiu, où elle s’est plongée dans le maintien de l’ordre auprès des populations autochtones et nordiques.
Elle a passé les années suivantes à acquérir de l’expérience à travers le pays, de la Nouvelle-Écosse à l’Alberta en passant par les Territoires du Nord-Ouest, avant de retourner au Labrador plus d’une décennie plus tard. À cette époque, elle avait travaillé dans les services d’enquête générale, les crimes majeurs (homicides) et la lutte contre le trafic de stupéfiants, et s’était fait connaître pour son dévouement envers les victimes de violence domestique et d’agression sexuelle.
Revenir à Happy Valley-Goose Bay lui a donné l’impression de rentrer chez elle. Bon nombre des amitiés qu’elle avait nouées des années auparavant étaient toujours là, et aujourd’hui, leurs enfants fréquentent la même école.

Maintenir l’ordre dans le Nord : courage, sagesse et adaptation
Le maintien de l’ordre au Labrador présente de nombreuses similitudes avec celui des régions nordiques du Canada, telles que les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut. Les distances couvertes par chaque détachement sont immenses, les conditions météorologiques peuvent être impitoyables et la logistique incessante. Les vols doivent souvent être annulés en raison des conditions météorologiques, et les communautés peuvent être coupées du monde pendant plusieurs jours.
« Vous voulez vous rendre sur place aujourd’hui, explique Cara, mais il se peut qu’il n’y ait pas de vols en raison du mauvais temps. »
Elle a appris à se préparer à toute éventualité et à faire entièrement confiance à ses équipes. « Si quelque chose se produit, je suis convaincue qu’ils peuvent faire face à tout ce qui se présente à eux », déclare-t-elle fièrement. Elle souligne que la communication est vitale pour les opérations dans le Nord.

Une belle journée sur le bateau de l’adjoint aux services du détachement
Connexion par la créativité
L’une des expériences les plus marquantes de Cara ne concerne pas l’application de la loi, mais plutôt l’artisanat. Alors qu’elle était en poste à Paulatuk (Territoires du Nord-Ouest), elle a reçu une subvention de 15 000 dollars du Family Initiative Fund pour soutenir la prévention de la violence domestique. Plutôt que d’acheter du matériel tout prêt, elle a décidé de rassembler les gens autour d’un savoir-faire traditionnel : la confection de parkas et de mitaines.
« Avec l’argent reçu, j’ai acheté tout le matériel et trouvé des machines à coudre », se souvient-elle. « Pendant cette période, les gens partageaient leurs histoires. Nous avons créé un lien spécial. Ils me considéraient comme faisant partie de la communauté. »
Ces ateliers sont devenus un modèle de guérison et de connexion communautaires. La dernière parka qu’elle a confectionnée a été offerte à un jeune garçon, cousue à la main avec soin. Un collègue a fabriqué une parka pour son jeune enfant, un geste modeste mais symbolique de chaleur et de continuité.
Une leader à l’écoute
En tant que leader, Cara est reconnue pour son empathie et son inclusivité. Elle admet qu’au début de sa carrière, elle se sentait parfois isolée « car il n’y a pas beaucoup de femmes dans la GRC », mais au lieu de se laisser décourager, elle en a fait sa motivation. Aujourd’hui, elle défend l’autonomisation des femmes, des hommes et de leurs alliés.
Sa philosophie est simple : ne remettez pas vos décisions en question, agissez. Elle encourage les autres à franchir le pas, à poser leur candidature pour une promotion même s’ils ne se sentent pas prêts, à croire que le courage mène à l’épanouissement. « Vous ne saurez jamais si vous n’essayez pas, dit-elle. Faites le pas. N’ayez pas peur du changement. »
Au-delà de l’uniforme
En dehors de ses fonctions au sein de la GRC, Cara prend le temps de s’amuser. Elle pratique des sports locaux – baseball, soccer et hockey – et dirige même une entreprise de torréfaction de café, née de son amour pour les relations humaines. « C’est ce qu’on peut apprendre autour d’une tasse de café », dit-elle en souriant.
Quand elle a besoin de se ressourcer, elle parcourt avec sa famille les routes isolées, généralement pour assister aux événements sportifs de ses enfants, où ceux-ci, dit-elle, « voient autre chose que leurs parents en train de faire leur travail de policiers ». Son mari, membre des Forces armées canadiennes qui prendra bientôt sa retraite, a partagé l’aventure des déménagements d’une province à l’autre, leur vie étant définie par l’adaptabilité et la détermination.
Se souvenir des personnes rencontrées au fil du temps
Avec le recul, Cara réfléchit à une vérité toute simple : le métier de policier peut vous amener à voyager à travers tout le pays, mais ce sont les relations que vous nouez qui perdurent. « Il est important de se souvenir des personnes rencontrées au fil du temps », dit-elle. « Prenez de leurs nouvelles. »
C’est un conseil qui reflète sa façon de diriger : avec discipline et compassion, en gardant toujours à l’esprit que le service ne se résume pas à des procédures et à des politiques. Il s’agit avant tout de personnes.

En apprentissage pour couper le caribou auprès d’un aîné
Un impact durable
En 2024, la sergente-chef Cara Streeter a été reconnue comme l’une des policières les plus méritantes de Terre-Neuve-et-Labrador pour son service, son leadership et sa contribution à des initiatives communautaires. Ceux qui la connaissent disent que cet honneur est bien mérité, mais elle serait la première à rendre hommage à son équipe, à ses mentors et aux communautés qui l’ont accueillie.
Près de vingt ans après avoir choisi une voie qu’elle n’aurait jamais imaginée, Cara est devenue le symbole de ce que peut être la police moderne dans le Nord canadien : compatissante, courageuse et orientée vers la communauté.
Son histoire nous rappelle que le leadership n’est pas seulement une question de grade, mais surtout une question de cœur.