Il y a plus de 100 ans, une région éloignée des Territoires du Nord-Ouest est devenue le point central de l’une des plus importantes tragédies, ayant causé le plus grand nombre de décès chez les membres en service de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), appelée la patrouille perdue.
Même 114 ans après la tragédie de la patrouille perdue, les membres du détachement de la GRC de Fort McPherson, dans les Territoires du Nord-Ouest, n’ont pas oublié ces quatre membres décédés, dont l’histoire de lutte fatidique dans le froid hivernal glacial résonne encore après plus d’un siècle.
La patrouille perdue : le départ
Quatre jours à peine avant Noël 1910, quatre membres de la Royale Gendarmerie à cheval du Nord-Ouest, qui deviendra la GRC que l’on connaît aujourd’hui, partent de Fort McPherson, dans les Territoires du Nord-Ouest, vers une région éloignée. L’objectif du groupe, formé de l’inspecteur Francis Fitzgerald, du gendarme Richard O’Hara Taylor, du gendarme George Francis Kinney et du gendarme spécial Sam Carter, était d’effectuer la patrouille annuelle d’une distance de 800 km jusqu’à Dawson City pour livrer le courrier et les dépêches.
Équipés de 15 chiens de traîneau et de provisions pour environ 30 jours, les quatre membres ont quitté Fort McPherson le 21 décembre. Les voyages précédents avaient duré entre 14 et 56 jours, selon les conditions météorologiques, et l’équipe devait arriver à Dawson City vers la mi-février.
La patrouille ne s’est jamais rendue à destination.
La patrouille perdue : que s’est-il passé?
Le voyage a commencé comme prévu. Les quatre membres ont franchi avec succès la première étape de la traversée. Les membres avaient embauché un guide autochtone local pour les aider à gravir la chaîne de montagnes Richardson, ce qu’ils ont traversée avec succès.
Une fois dans les montagnes, les membres remercient le guide et poursuivent la traversée par eux-mêmes. Malheureusement, le membre agissant à titre de guide n’avait participé à cette patrouille qu’une seule fois auparavant – et dans la direction opposée – et les quatre hommes se sont rapidement perdus, en proie au vent hurlant, à la neige et au froid mordant.
Ce n’est que lorsqu’on remarque que les quatre membres n’arrivent pas à Dawson City vers la fin du mois de février qu’une autre patrouille est déployée. Dirigée par le caporal William John Dempster et l’ex-gendarme Frederick Turner, le gendarme Jerry Fyfe et Charles Stewart, un membre de la communauté métisse de Fort McPherson, les membres de la Patrouille perdue sont finalement découverts décédés, et les détails de leur voyage éprouvant sont révélés dans le journal de l’inspecteur Fitzgerald.
Les notes dans le journal décrivent une lutte pour la survie contre les forces de la nature
Le 12 janvier, la patrouille se perd, incapable de trouver le ruisseau qui l’aurait menée à Dawson City. Elle poursuit sa route, mais cela fait maintenant plus de 22 jours qu’elle affronte les intempéries et un terrain accidenté, et les provisions commencent à s’épuiser.
Six jours se sont écoulés sans qu’aucun progrès n’ait été réalisé. La patrouille a remonté et descendu plusieurs cours d’eau et ruisseaux, essayant de trouver le bon, mais en vain. Alors qu’il ne reste que quatre jours de provisions, l’inspecteur Fitzgerald écrit dans son journal : « Mon dernier espoir s’est envolé… »
Conscients de la situation de vie ou de mort dans laquelle ils se trouvaient, les quatre membres de la police montée ont abandonné leur patrouille et sont retournés à Fort McPherson, mais ce voyage ne s’est pas avéré moins périlleux.
Alors que leurs provisions s’épuisent et qu’ils sont confrontés à la triste réalité de la famine, les membres se mettent à manger les chiens de traîneau, puis les courroies de cuir qui servaient à les atteler aux traîneaux.
Malheureusement, exposés à des températures inférieures à -40 degrés Celsius et souffrant de famine et d’épuisement, les membres finissent par succomber aux forces de la nature et ont péri, à seulement 40 kilomètres de Fort McPherson. Les gendarmes Kinney et Taylor perdent la vie les premiers. L’inspecteur Fitzgerald et le gendarme spécial Carter poursuivent la route, mais ils rendent l’âme à quelques pas seulement de leurs camarades. Aujourd’hui, des monuments commémoratifs existent sur les deux sites pour rendre hommage à ces hommes.
Conserver les monuments commémoratifs aujourd’hui pour les membres de demain
Même si les événements liés à la patrouille perdue se sont déroulés il y a plus d’un siècle, les membres du détachement de la GRC de Fort McPherson se souviennent toujours de ces quatre braves officiers et leur rendent hommage.
Chaque année, des membres de la Division G, ou des Territoires du Nord-Ouest, s’occupent des sites commémoratifs. On retrouve 28 monuments commémoratifs différents dans les Territoires du Nord-Ouest, dont huit dans la seule région de Fort McPherson.
Le désir de se souvenir des membres décédés et de ceux qui les ont précédés revêt une importance capitale pour les membres de la région, y compris pour deux agents actuellement déployés à Fort McPherson, soit les gendarmes Riley Gould et Melissa Richard.
Comme le dit Riley : « Je viens d’une famille de militaires, et c’est donc une valeur avec laquelle j’ai grandi, et c’est la même chose avec la GRC. C’est une partie de notre histoire et de nos origines, et il ne faut pas l’oublier. Si nous laissons ces noms s’effacer, comment pourrons-nous perpétuer cet héritage? Lorsque des personnes se sacrifient pour une chose à laquelle ils croient, il faut les honorer. »
Melissa partage ce sentiment : « Nous devons nous souvenir de l’histoire, parce que tout cela n’aurait pas été possible sans les gens qui étaient ici. Si nous oublions cette histoire, nous oublions ce lien. Il est important de garder ce souvenir vivant. »
Les guides locaux et un peu (d’accord, beaucoup) d’huile de coude
L’entretien de ces sites n’est cependant pas facile. D’abord, il peut être difficile de les trouver, et avec des ressources et des outils limités, il est parfois préférable de recourir à un guide local. Dans le cas de Riley et Melissa, ils se sont appuyés sur les connaissances locales et sur une partie de leur propre savoir pour remttre en état le monument commémoratif de la patrouille perdue en juin 2024.
« Nombre de ces personnes connaissent l’endroit comme le fond de leur poche », explique Riley. « C’est vraiment génial de voir l’étendue des connaissances locales ici. Tous les renseignements sur l’emplacement de ces sites et sur les événements viennent de la collectivité, c’est une partie de son histoire. »
Riley a ajouté : « Nous avons des outils qui traînent au bureau – des coupe-branches, des scies à main, par exemple. Et si nous n’avions eu que ces outils, nous aurions été là toute la nuit, mais le guide savait à quoi s’attendre et avait apporté des scies à chaîne. »
Une fois que Riley, Melissa et leur guide Lawrence, un Autochtone de la région, se sont rendus dans la zone du monument commémoratif de la patrouille perdue, ils ont d’abord dû nettoyer les saules qui s’étaient multipliés et qui avaient envahi le site. Les inondations historiques des années précédentes avaient causé des dégâts importants – le mât du monument avait été complètement emporté. Équipés des scies à chaîne et d’autres outils appartenant au guide, Riley et Melissa ont pu débarrasser le site des saules, de la boue et des autres plantes. Ils ont même réussi à fabriquer un nouveau mât de fortune à partir d’un gros arbre, creusé dans la boue, et auquel ils ont attaché un nouveau drapeau au sommet pour marquer le site.
« Nous avons trouvé une partie de [l’ancien mât] dans la boue, pliée en deux. Le drapeau était coincé dans la boue et nous avons dû le couper. Nous l’avons rapporté au détachement et nous le garderons ici. Nous avons installé un nouveau drapeau canadien à sa place », explique Riley.
Les travaux étant terminés pour cette année, les membres ont laissé le monument commémoratif dans un état neuf, propre et bien entretenu pour que les générations futures de résidents et de visiteurs puissent le voir et ainsi rendre hommage aux membres décédés.
Servir dans le Nord : éprouvant et gratifiant
Il ne s’agit pas seulement de monuments commémoratifs, de paysages accidentés et de connaissances locales pour les membres du Nord. Servir dans le Nord offre des expériences que peu de Canadiens peuvent vivre. Riley et Melissa sont toujours ravis d’en parler.
« À l’époque de la Gendarmerie à cheval du Nord-Ouest, les hommes étaient des durs à cuire », dit Riley. « C’étaient des survivalistes. Mais aujourd’hui, l’image de marque ne se limite pas à cela. Aujourd’hui, tout le monde peut travailler là-haut, il n’est pas nécessaire d’avoir des connaissances approfondies en matière de camping ou de randonnée. Tout le monde peut y trouver son compte et y apprendre quelque chose. Le personnel de Fort McPherson est composé de beaucoup de gens de la Division Dépôt et, au bout de deux ans, on en ressort avec un bagage très complet. »
« J’adore le fait que nous puissions parler du Nord en général et de cet environnement. Je pense que la plupart des Canadiens oublient l’existence de ces lieux, voire ne savent pas qu’ils existent », affirme Melissa. « Le Canada et les Autochtones partagent une histoire très riche – les gens qui vivent et qui ont vécu ici sont très authentiques. Je vous encourage à prendre le temps de lire et à en apprendre plus sur le sujet, à écouter ce qu’ils ont à raconter et à découvrir ces connaissances locales. Il n’y a rien de tel dans le monde entier. »
Bien que la tragédie de la patrouille perdue remonte à plus de 100 ans, l’héritage de leur bravoure et de leur dynamisme résonne encore aujourd’hui – un héritage inoubliable pour les membres qui servent Fort McPherson et ceux qui y vivent : les visiteurs, les membres et la population locale. Parce qu’il n’est jamais trop tard pour se souvenir des membres décédés.