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AVERTISSEMENT D’ÉLÉMENTS DÉCLENCHEURS : Le blogue suivant traite du meurtre et de la mort, ce qui peut être bouleversant pour certains lecteurs. 

Un crime qui a bouleversé la province 

À l’été 1959, la ville paisible des Prairies qu’est Stettler, en Alberta, a été brisée par un crime si horrible qu’il hanterait la province pendant des générations. Le 25 juin 1959, sept membres de la famille Cook — Raymond, son épouse Daisy et leurs cinq jeunes enfants — ont été retrouvés assassinés chez eux. 

1959 : Robert Raymond Cook, photo d’identité judiciaire, avec l’aimable autorisation de la Legal Archives Society of Alberta (LASA)

Les soupçons se sont rapidement tournés vers Robert Raymond Cook, 22 ans, le fils aîné de Raymond issu d’une relation antérieure. Robert a été arrêté quelques jours plus tard alors qu’il tentait de vendre la voiture familiale. À l’intérieur du véhicule, la police a découvert une collection terrifiante d’objets : des pyjamas pour enfants, des documents d’assurance et le certificat de mariage de son père et de sa belle-mère. Les récits évasifs de Robert n’ont fait qu’accroître la méfiance. Quelque chose clochait terriblement. 

Le 28 juin, la vérité horrifiante est apparue : les sept corps avaient été entassés dans la fosse de graissage sous le garage familial. 

Ce qui a suivi a captivé la nation. Alors qu’il attendait de subir une évaluation psychiatrique, Robert s’est enfui de l’établissement psychiatrique de Ponoka, a volé une voiture, l’a emboutie et a disparu dans la campagne albertaine. La chasse à l’homme qui a suivi a été l’une des plus importantes de l’histoire de l’Alberta, avec plus d’une centaine d’agents de la GRC, de chiens policiers, de miliciens et d’aéronefs qui ont cherché sans relâche. Quelques jours plus tard, on a retrouvé M. Cook caché dans une porcherie près de Bashaw. 

Plutôt que de le juger pour les sept meurtres, la Couronne s’est concentrée sur une seule accusation — la mort de son père — afin d’accélérer le procès. Le premier procès à Red Deer s’est conclu par un verdict de culpabilité. Après un appel, un deuxième procès à Edmonton a abouti à la même conclusion. M. Cook a été condamné à la pendaison. 

Le 15 novembre 1960, Robert Raymond Cook a été exécuté à Fort Saskatchewan. C’était la dernière exécution en Alberta — et l’avant-dernière dans l’histoire du Canada. 

À ce jour, les meurtres de la famille Cook demeurent l’un des crimes les plus troublants au Canada. 

Mais le sujet de ce blogue n’est pas Robert Cook. 

Son histoire a déjà été racontée — par les médias, dans des livres, sur scène. 

Trop souvent, le souvenir que nous avons de ces crimes est le nom de ceux qui les ont commis. Nous nous focalisons sur leurs motivations, leur folie, leurs dernières paroles. Mais nous oublions le nom de ceux qui ont couru vers les ténèbres, qui ont fouillé les champs, frappé aux portes et porté le fardeau de la justice. Nous oublions que pour les membres de la GRC, même cette affaire poignante n’est qu’un chapitre parmi d’autres dans une longue carrière souvent ingrate. 

Voici l’histoire de Ted. 

Présentation du sergent Theodore (Ted) P. J. Hesch (retraité) 

Ted Hesch est né en Ontario le 16 mai 1937; il était l’aîné de huit enfants et le seul garçon parmi six sœurs plus jeunes jusqu’à ce qu’il reçoive un télégramme de son père en 1957 annonçant la naissance d’un petit frère. 

« Lorsque j’étais un jeune garçon, probablement âgé d’environ 12 ans, » se souvient Ted, « j’avais lu des livres et des histoires sur la GRC. Je pensais alors que c’était la carrière que je voulais. Je connaissais quelques hommes de ma ville natale qui avaient rejoint les rangs de la GRC. Certaines de leurs histoires m’ont inspiré. Entrer à la GRC n’était pas facile à cette époque, alors j’ai eu beaucoup de chance. » 

Depuis son plus jeune âge, Ted rêvait de devenir membre de la GRC, ce qu’il a fait officiellement à l’âge de 19 ans

Ted a commencé son service à la GRC en juin 1956 alors qu’il n’avait que 19 ans. Après avoir obtenu son diplôme au début de 1957, il a reçu son numéro de matricule : 19480. Il a d’abord été affecté aux Services de police de protection, à Ottawa, où il a travaillé dans des institutions clés comme Rideau Hall sous la direction du gouverneur général Vincent Massey, la Banque du Canada, la Monnaie royale canadienne et la Colline du Parlement. Il faisait également partie du service de sécurité lors de la visite de la reine Elizabeth II en septembre 1957. 

Après son transfert à la Division K (Alberta), Ted a été affecté à Edmonton, où il a travaillé dans le corps de garde et plus tard au sein du Service divisionnaire des renseignements criminels. 

Hesch en patrouille routière Red Deer, Ab (1959)

En 1958, il a été affecté à Innisfail, la première d’une longue série d’affectations rurales dans la province. Au fil des ans, Ted a servi à Red Deer, à Olds, à Killam, à Coronation et à Stettler, souvent comme seul agent responsable de vastes étendues de campagne. Sans communication radio et avec des centaines de kilomètres entre les appels, il se fiait à son courage, son instinct et sa détermination. 

Son travail était aussi varié qu’il était exigeant : enquêter sur les introductions par effraction et les vols, intervenir en cas d’accident de train ou de véhicule à moteur, traiter les décès accidentels et naturels et appliquer toutes sortes de lois, des lois provinciales au Code criminel du Canada. 

Le rôle de Ted dans l’affaire Cook 

Ted était seul au détachement d’Innisfail le 28 juin 1959, lorsque le sergent de la GRC de Stettler a appelé. Sept corps venaient d’être retrouvés. 

On a demandé à Ted d’aviser les membres de la famille des victimes — la mère et la sœur de Raymond Cook, qui vivait dans un parc de maisons mobiles à Bowden. 

« C’était toute une histoire pour un jeune comme moi de devoir leur annoncer ça, » dit Ted. « C’était ma première fois. » 

Un numéro du magazine « Master Detective » provenant de la collection personnelle de Ted et traitant des meurtres de Robert Raymond Cook

Il ne pouvait pas donner de détails, car il s’agissait d’un cas actif. Il n’a jamais oublié le poids émotionnel de cette tâche. 

Le 11 juillet, Ted a entendu à la radio que M. Cook s’était échappé de l’établissement psychiatrique de Ponoka. « Un de mes amis a participé à la poursuite. Il a tiré avec son revolver, et la balle a traversé la fenêtre arrière et est sortie par l’avant—manquant de peu M. Cook. » 

Chiens policiers de High River et Westlock avec leurs maîtres, travaillant pour l’enquête de la GRC sur Robert Raymond Cook (Provincial Archives of Alberta)

M. Cook a embouti le véhicule et s’est enfui. Entre-temps, Ted a été l’un des quelques membres qui travaillaient à sécuriser la communauté ébranlée autour d’Innisfail et de Bowden. « Nous étions fatigués et nous travaillions 24 heures sur 24, vérifiant les véhicules au cas où M. Cook reviendrait dans la région pour faire du mal à sa grand-mère », a-t-il dit. « Toute la collectivité avait peur. Tout le centre de l’Alberta avait peur. Certaines familles rurales se sont même rassemblées, armées de fusils, dans l’éventualité où M. Cook se présenterait chez elles. » 

Les ressources étaient limitées. « Nous n’avions ni carabines ni fusils de chasse. Juste des revolvers, une voiture de police et une paire de menottes pour tout le détachement. » 

Grâce à des renforts provenant de partout en Alberta et d’autres provinces, M. Cook a été repris le 13 juillet près de Bashaw. 

De près et personnellement 

Après que la police ait recapturé M. Cook, Ted pensait que son rôle dans l’affaire était terminé, mais le destin en a décidé autrement. 

Après avoir été transféré à Red Deer pour se joindre à la patrouille routière de la GRC, Ted s’est retrouvé à travailler au dernier étage de l’édifice fédéral. Juste à côté se trouvait une petite cellule de détention—et à l’intérieur se trouvait M. Cook, en attente de son procès. 

Ted (à gauche) et le gend. Shewchuk (à droite) escortant Robert Raymond Cook (au milieu) au tribunal pour meurtre à Red Deer, Alberta (1959)

Ted et l’agent C. W. Thompson ont été chargés de surveiller M. Cook pendant la nuit. « M. Cook était une personne distante et froide, » se souvient Ted plus tard. « Il n’a jamais manifesté un soupçon de remords. » 

Pendant dix jours tendus, Ted était chargé d’escorter M. Cook de l’autre côté de la rue jusqu’au palais de justice de Red Deer, d’un pas lent et lourd sous le regard méfiant des habitants de la ville. 

M. Cook a finalement été reconnu coupable du meurtre de son père—non pas une, mais deux fois — et condamné à la pendaison chaque fois. 

Un cas parmi des milliers 

Bien que l’affaire Cook ait laissé une marque permanente sur Ted et le pays, ce n’était qu’un exemple parmi les milliers de défis qu’il a dû relever et de victoires qu’il a vécues tout au long de sa carrière. 

Un soir de janvier 1964 glacial, Ted venait de terminer un match de curling lorsqu’il a été envoyé sur une scène de meurtre potentielle au sud de Stettler. Tout a commencé par un contrôle routier suspect à la frontière américaine. Le conducteur, qui se présentait sous une fausse identité, était Donald Scheerschmidt, qui avait assassiné un vieux garçon du coin qui s’appelait Coulton Mackey. 

Une fois arrivés à la maison éloignée de M. Mackey, Ted et son équipe se sont précipités à l’intérieur. « L’endroit avait été dévasté. Une carabine de calibre 22 et un rosaire reposaient sur le plancher. Il n’y avait pas de chauffage, au point que de la glace s’était formée dans l’évier. » 

M. Scheerschmidt a avoué et conduit la police sur une parcelle de 160 acres qui était vide, à l’exception d’un puits au milieu. L’eau à l’intérieur du puits était gelée jusqu’au niveau du sol, et le corps de M. Mackey était déposé sur la glace. Ted et le gendarme de la GRC A. R. Wilson ont gardé les lieux pendant la nuit, alors qu’il faisait -30 °C, en se fiant à la chaufferette pour se réchauffer. 

Une coupure de presse de l’Edmonton Journal (1er mai 1964)

Une fois l’enquête terminée, le corps encore gelé a été placé dans le coffre d’une voiture de police. Ted n’a jamais pu oublier l’image du corps de M. Mackey, figé en position fœtale avec un porte-cigarette entre ses dents. 

Cette affaire n’a jamais fait les manchettes nationales comme l’affaire Cook. Mais comme plusieurs autres situations vécues par Ted au cours de sa carrière, elle a laissé une impression permanente sur lui. 

Un héritage à ne pas oublier 

Le travail de Ted ne s’est pas terminé avec l’affaire Cook ou Scheerschmidt, loin de là. Sa carrière est devenue un témoignage de leadership sous pression et de résilience face au changement constant. 

En 1965, Ted passe de Stettler à Camrose où il est chargé de lancer une nouvelle unité de patrouille routière. Pendant neuf mois, il a travaillé seul sur les autoroutes, jetant les bases de cette unité jusqu’à ce que deux autres gendarmes puissent se joindre à lui. 

Son leadership constant n’est pas passé inaperçu. En 1967, Ted a été promu au grade de caporal et, un an plus tard seulement, il a pris en charge une équipe de patrouille routière de six hommes à Stony Plain, à l’ouest d’Edmonton. L’affectation à Stony Plain était un poste exigeant, car la route 16 achalandée présentait des défis quotidiens. 

Le sergent Ted Hesch assure la sécurité du prince (aujourd’hui roi) Charles à la nation Tsuu Tina en 1977

Ted a continué de gravir les échelons. Après quatre ans à Stony Plain, il est devenu responsable du peloton de la ville de Whitecourt, et il était commandant adjoint au détachement. Par la suite, il a été promu sergent au détachement de Calgary, où il supervisait des opérations qui comprenaient le maintien de l’ordre dans la Nation Tsuu T’ina. 

Le parcours de leadership de Ted a culminé avec un poste dans l’un des endroits les plus occupés de la GRC : le détachement de l’aéroport de Calgary. En tant que sous-officier opérationnel, il gérait une équipe de 32 agents. L’accent qu’il mettait sur la formation, le mentorat et l’excellence opérationnelle a laissé une marque durable. Des années d’expérience en gestion de crise lui ont permis de perfectionner sa capacité à assurer la sécurité et la sûreté de l’un des aéroports les plus achalandés du Canada. 

Le 1er octobre 1986, Ted a pris sa retraite après plus de 30 ans de service. 

Nos héros méconnus 

Bien que ses affectations aient été variées et souvent difficiles, une chose est demeurée constante : Ted a fait preuve de professionnalisme, d’humilité et d’un engagement inébranlable à protéger et à servir. 

Derrière chaque insigne se cache une famille qui fait aussi des sacrifices. Les transferts se sont souvent produits avec un préavis de seulement quelques jours, ce qui a déraciné la famille croissante de Ted à maintes reprises. Chaque nouveau poste signifiait faire face au stress de trouver un logement, bâtir de nouvelles routines et parfois acheter une maison dans laquelle il avait à peine le temps de vivre. 

Malgré tout, Ted et son épouse Yvonne — qui sont maintenant mariés depuis 62 ans — ont bâti une vie fondée sur le service, la résilience et l’amour. Aujourd’hui, ils vivent à Calgary et rendent souvent visite à leurs trois enfants, Cathy, Kelly et Trent, ainsi qu’à leurs cinq petits-fils.  

En racontant l’histoire de Ted, nous nous souvenons de ce qui est trop souvent oublié, c’est-à-dire que derrière les cas qui font la manchette se cachent des agents qui sont hantés par ces souvenirs et porteront le poids de ces cas longtemps après que les grands titres ont disparu, et qui servent notre pays d’une façon invisible à nos yeux.  

Ce blogue est un hommage — non pas à l’infamie, mais à l’intégrité du service. 

À tous les membres qui ont affronté les ténèbres au service des autres. Aux membres et à tous les policiers comme Ted.